J’ai récemment lu un ouvrage extraordinaire. Il était recommandé par Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, donc à vrai dire je ne prenais pas un grand risque. Cet ouvrage s’appelle Le But: Un processus de progrès permanent. Il a été écrit au début des années 80 par un ingénieur israélien nommé Eli Goldratt. C’est une magnifique façon d’aborder les problématiques de production industrielle, ou dit plus simplement la fabrication d’objets complexes demandant de nombreuses interactions entre machines et personnes.

Pourquoi ce livre a-t-il eu autant de succès ?

Si Jeff Bezos en a parlé, c’est que ce livre est un grand classique qui s’est écoulé à plusieurs millions d’exemplaires. Sa première force tient au fait qu’il s’agit en fait d’un roman, ce qui était pour moi un format inédit pour un livre de business. Il est donc tout particulièrement facile à lire, ce qui est une gageure pour un livre évoquant les techniques de production industrielle.

Mais au-delà du roman, qui narre la vie et les difficultés professionnelles tout autant que sentimentales (!) d’un jeune et brillant directeur d’usine, la façon de relater les problématiques opérationnelles et leurs solutions fait penser à la méthode Socratique. Le mentor de ce jeune directeur intervient en effet à intervalles réguliers dans le livre pour lui indiquer des commencements de solution, sans toutefois jamais lui donner la solution complète, qu’il connaît pourtant. Le directeur part donc d’un piste qu’il triture en général laborieusement avec son équipe, dans un schéma récurrent « bribe de solution – brainstorming d’équipe – fausses pistes – vraies pistes – moment eurêka de découverte de la solution ». Ce procédé stylistique a le gros avantage de permettre au lecteur/étudiant que nous sommes de bien mieux comprendre et intégrer les apprentissages du livre.

La théorie des contraintes

Mais trêve d’analyse pédagogique, ce qui nous intéresse ici est le message apporté par le livre. L’idée essentielle de l’ouvrage est la suivante : si un processus complexe de production (mettons une usine de voitures) n’a pas la production maximale désirée (par exemple n’atteint pas le nombre le voiture produites anticipé), alors plutôt que d’aller essayer de maximiser la puissance de chacune des machines, il faut identifier celle qui produit le moins, car finalement le maximum de production de l’usine ne peut être égal qu’au maximum de production de la plus faible des machines.  Pas compris ? Le schéma ci-dessous (en anglais) est le plus clair que j’ai pu trouver.

Alors que la demande des clients en bleu (« customer demand ») semble pouvoir être comblée par la machine 1 (« step 1 ») d’une capacité de production supérieure, il existe malheureusement dans la chaîne un goulet d’étranglement qui limite la production totale. C’est la théorie des contraintes : trouver le goulet d’étranglement pour libérer la production.

La théorie des contraintes a l’air évidente ainsi décrite, et elle l’est en quelque sorte. Comme le résume bien l’auteur :

Ce livre tente de montrer que nous pouvons prendre en considération un très petit nombre d’hypothèses et les utiliser pour expliquer un très large spectre de phénomènes industriels.

Mais il faut s’imaginer comme dans le livre une usine de plusieurs dizaines de machines, de personnes, de clients mécontents et une certain complexité pour un directeur d’usine brillant mais jeune d’identifier le problème clé au milieu de ce chaos. Par ailleurs, il faut se rappeler que l’ouvrage a près de 40 ans, et par conséquent que ce qui était une vraie innovation à l’époque est probablement une notion largement utilisée dans les milieux concernés aujourd’hui.

Application à la promotion immobilière

Mais trève de considération pédagogique de nouveau, venons-en au but de la réflexion : peut-on appliquer la théorie des contraintes à la promotion immobilière ? Bien sûr, comme n’importe quel processus industriel complexe. Je vais prendre en exemple 2 citations du livre et tenter de développer.

«Ce que je vous dis, c’est que la productivité n’a pas de sens si vous ne savez pas quel est votre objectif», dit-il

Ici, c’est le mentor qui parle directement au jeune directeur. Ce dernier se retrouve comme je le disais dans une situation difficile avec une usine qui fonctionne mal et qui menace de fermer. Le mentor lui réexplique une règle simple : sans but, pas de productivité. Donc avant de se poser la question de remplacer telle ou telle machine ou telle ou telle équipe, il faut se poser la question du but de l’usine, qui n’est finalement pas si simple à trouver. C’est cette question fondamentale (« quel est le but ? ») qui a donné son titre à l’ouvrage.

Pour ce qui est de la promotion immobilière, comme pour n’importe quel métier d’ailleurs, la question reste tout aussi valide : quelle est le but de la société ? Se développer rapidement ou stabiliser sa production ? Financièrement, quelle en est la conséquence : puiser dans sa trésorerie pour financer son développement ou au contraire la faire croitre pour sécuriser sa société ? Etc…

« Ce que vous avez appris, c’est que la capacité de l’usine est égale à la capacité de ses goulots d’étranglement. Souvenez-vous qu’une heure perdue à un goulot d’étranglement est une heure perdue pour l’ensemble du système. »

Pour bien comprendre ce qui est dit ici, je vous renvoie au schéma ci-dessus : rien ne sert d’augmenter la machine de l’étape 3 si c’est à l’étape 5 que se trouve le goulet. Et comme le flux du goulet 3 est égal au flux total de la société, dès que la production à l’étape 3 baisse c’est la production totale de la société qui baisse !

Listons maintenant les principales étapes de la promotion immobilière :

Goulet Potentiel Explication Difficulté actuelle pour Lymo (5=très difficile)
Trouver des fonciers Les terrains disponibles sont évidemment la matière première de notre métier 1/5
Obtenir une autorisation d’urbanisme Ce sont les mairies qui autorisent la construction des projets 4/5
Trouver des financements Les banques et le financement crowdfunding apportent les fonds nécessaires à la construction 2/5
Trouver des clients Il faut évidemment trouver des clients finançables voulant acheter des logements 3/5
Construire des résidences Cela consiste à trouver une quinzaine d’entreprises (1 pour chaque lot : plomberie, etc.) , un maître d’œuvre et construire la résidence 2/5

Les difficultés rencontrées lors des étapes varient forcément dans le temps et en fonction des promoteurs. Mais actuellement, à la suite des élections municipales qui entraînent un ralentissement des autorisations d’urbanisme (cf. ici), la difficulté n°1 pour les promoteurs est d’obtenir des permis de construire. Est-ce que cette difficulté là est pour autant un goulet ? C’est à chaque organisation d’en faire l’analyse. Mais c’est probablement avec cette difficulté qu’il faut la commencer.

 

Conclusion

J’aimerais terminer cet article par une citation de l’auteur dans la préface, commentant 30 ans après le succès de son ouvrage :

« Le secret pour être un bon scientifique, je crois, ne réside pas dans notre cerveau. Nous en avons assez. Nous devons simplement regarder la réalité et penser de manière logique et précise à ce que nous voyons. »

Est-si la capacité à voir la réalité et penser de manière logique était aussi le secret des grands entrepreneurs ? C’est ce que nous avions observé dans les ouvrages de ce précédent article de blog. C’est le premier principe de Ray Dalio et le premier chapitre du livre de Jack Welch, et le mantra de tant d’autres. Une piste intéressante à continuer à explorer …